On dit parfois que de la contrainte naît l'imagination. C'est ce que prouvent aujourd'hui des physiciens de l'université Johns-Hopkins (États-Unis). Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, ils travaillent en effet sous la menace de coupes budgétaires massives. Des coupes susceptibles de mettre en péril des décennies de recherches. Mais loin de baisser les bras, ils ont décidé de prendre le problème à bras le corps. Et de lui chercher des solutions.
Dans les Physical Review Letters, ils présentent ainsi une idée qui peut sembler un peu folle. Celle de détourner un trou noir supermassif à leur avantage, pour en faire un gigantesque collisionneur de particules. À l'image de celui construit dans un tunnel circulaire de 27 kilomètres de long sous les terres de Suisse par l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), le Grand collisionneur de hadrons - ou Large Hardron Collider, LHC. Mais en plus naturel et surtout, beaucoup moins cher.
Un besoin de collisionneurs toujours plus puissants
Rappelons que les collisionneurs de particules projettent par exemple des protons les uns contre les autres à une vitesse colossale, proche de celle de la lumière. Dans les éclairs d'énergie ainsi produits et les débris des impacts, les physiciens cherchent des particules inconnues qui les aideraient à dévoiler les secrets les plus profonds de notre Univers. Des candidates potentielles à la matière noire, notamment. Mais jusqu'ici, rien. Le LHC, qui est pourtant le plus énergétique de tous les accélérateurs de particules, ne leur a toujours pas apporté la moindre preuve de son existence.
Alors les physiciens rêvent d'un collisionneur de nouvelle génération. Mais pour cela, il faudrait investir 30 milliards de dollars. Et patienter une quarantaine d'années pour sa construction. Les trous noirs supermassifs, eux, pourraient être disponibles tout de suite et à moindre coût, assurent les chercheurs de l'université Johns-Hopkins.
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Un trou noir supermassif en action, Hercule A et les super jets de plasma s'étendant sur environ 1,5 million d'années-lumière, soit environ 15 fois la taille de la Voie lactée.
Des accélérateurs de particules géants au cœur des galaxies
Ce qui attire les physiciens vers ces objets hors normes, c'est le fait qu'ils peuvent tourner sur eux-mêmes. Ainsi les flux de gaz qui passent dans leur voisinage peuvent absorber l'énergie colossale de cette rotation et voir les particules qui les constituent s'accélérer et entrer en collision de manière chaotique. Un peu comme cela se produit sous l'effet de champs magnétiques intenses dans les tunnels circulaires de nos collisionneurs de particules à haute énergie.
Certaines particules accélérées par un trou noir supermassif seraient inévitablement englouties par le monstre et disparaîtraient à jamais. Mais d'autres pourraient en réchapper. Celles qui auraient, dans l'opération, été accélérées à des énergies sans précédent. Pour les détecter, les scientifiques pourraient utiliser des observatoires qui suivent déjà des événements cosmiques cataclysmiques comme les supernovas ou les éruptions massives de trous noirs. Ainsi l'observatoire de neutrinos IceCube, situé au pôle Sud, ou le télescope à neutrinos Kilometer Cube, qui a récemment détecté le neutrino le plus énergétique jamais enregistré dans la mer Méditerranée. « Nous observerions un phénomène à la signature étrange, susceptible de fournir des preuves de l'existence de la matière noire. Et en tout cas, des preuves que les trous noirs supermassifs peuvent jouer pour nous le rôle de collisionneurs accélérant des particules à des énergies inaccessibles à un instrument terrestre », assurent les chercheurs.